L’historien entrepreneur : qui est-il, que fait-il ?
- Nicolas Bolchakoff
- 29 févr. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 déc. 2020
La question est légitime. Dans le paysage français personne, ou presque, ne conçoit l’existence et même la possibilité d’une telle profession. Pour le grand public, le domaine de l’histoire est associé à l’enseignement, aux longues heures de cours de collège, de lycée et quelques historiens connus, que l’on peut compter sur les doigts d'une main.
En tout premier lieu, pour comprendre ce qu’est réellement un historien entrepreneur, il faut s’entendre sur les mots, car comme disait Paul Valéry « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ». Cette dénomination est issue d’un raisonnement sur le rôle, l’application et le futur de l’histoire au cœur de notre société. Le premier terme, celui d’historien, est le plus aisé à définir. L’historien est celui qui, au terme d’un cursus universitaire, est certifié par un diplôme de ses compétences, expertises en matière historique. Quant à l’entrepreneur, c’est une personne qui décide de construire une offre commerciale à partir de ses compétences, au sein d’une structure qui est son entreprise.
La preuve est faite qu’un historien peut être un entrepreneur, un chef d’entreprise comme les autres mais avec tout de même ses spécificités. L’historien entrepreneur est un personnage de son temps enraciné dans son environnement.
Que fait un tel historien, quelle est son offre ? Il travaille avec des particuliers, des professionnels, des entreprises et des collectivités territoriales. Dans chaque cas il répond à une demande, à un besoin de mémoire de ses clients. Chacun d’eux à ses attentes spécifiques : un particulier recherche ses racines, une entreprise peut chercher à faire de son histoire une force entreprenariale dans le cadre de sa politique de communication. Une collectivité territoriale recherchera à mettre en valeur son patrimoine par sa connaissance plus profonde grâce à une étude historique.
A cette approche de l’histoire, se pose la question de la position scientifique et intellectuelle d’un historien entrepreneur, notamment celle de son indépendance et de son objectivité face à ses mandataires. Peut-il écrire une histoire qu’on lui dicterait ? L’objectivité scientifique doit-elle être mise au second plan ? A cela je répondrai que l’historien n’est pas propriétaire seul de l’histoire, de la mémoire. Il est celui qui l’exhume non le démiurge. Je n’ai jamais cru au principe de Fénelon, admis dans la culture universitaire, que l’historien n’est d’aucun temps, ni d’aucun lieu. L’historien serait-il un être sous cloche, dans un milieu stérilisé et qui échapperait au bouillonnement du monde? Non l’historien entrepreneur est un acteur du monde, de son monde. C’est un historien enraciné, localisé. Dans Méditations pascaliennes[1], Pierre Bourdieu déplore le trop plein d’objectivité des universitaires, créant ainsi une mise à distance du sujet étudié.
L’historien entrepreneur est enfin un homme d’affaire. Il faut oser le dire l’histoire peut faire l’objet d’un véritable marché comme n’importe quel autre. Il est vrai que la vision française admet difficilement le concept de marché, d’argent appliqué aux sciences humaines car le savoir historique est un savoir scientifique, pur, au-dessus des considérations bassement pécuniaires. Mais l’historien est comme chaque homme, il doit vivre et pourquoi pas vivre de sa passion pour laquelle il a étudié des années durant. Il possède des compétences qui sur le plan du marché sont à valoriser. La gratuité des choses ne fait rien avancer et reste proche de l’amateurisme, ce dont l’historien entrepreneur ne fait pas partie.
L’historien entrepreneur est en définitif un historien qui met l’histoire au service du temps présent et qui met le présent au service de l’histoire.
Nicolas BOLCHAKOFF
[1] Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, coll. « Liber », 1997, p. 19-43.
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